Jeudi, Octobre 03, 2024
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Devenu danseur étoile l'hiver dernier à seulement vingt-trois ans, Guillaume Diop n’a pas la même définition d’un modèle que vous. Parfois, les journalistes n'obtiennent pas les réponses escomptées. Et cela débouche souvent sur les moments les plus intéressants et les plus vrais, ceux qui bousculent nos attentes et nos préjugés, nous donnent à observer un point de vue nouveau.
 
Veste, chemise et pantalon, Balmain. Chaussettes, Falke. Mocassins, J.M. Weston.© Marcel Nestler
 
Dans un vieux reportage télévisé dédié au danseur étoile Mathias Heymann, une reporter demande ainsi à de jeunes élèves de l’école de danse de l'Opéra national de Paris à quel point leur aîné constitue un exemple pour eux. L’un des pré-adolescents, qui se rêve à un si beau parcours, donne alors une réponse peu convenue en exprimant une ambition intime. “On a plus envie de montrer quelque chose qui nous ressemble plutôt que d’essayer de copier les autres”, affirme-t-il en frappant trois fois sa poitrine de son poing.
 
Vous l’avez deviné, il s’agit de Guillaume Diop. Une dizaine d’années se sont écoulées depuis ce reportage mais l’état d’esprit du jeune homme aujourd’hui âgé de vingt-trois ans n’a pas changé. “J’ai eu conscience très tôt de mon besoin de m’affirmer et je n’ai jamais fonctionné avec des modèles”, nous dit-il quelques mois après être devenu le tout premier danseur étoile noir. “J’ai vraiment fait un travail d’introspection pour déterminer ce que j’avais envie de faire et quels rôles je voulais incarner à ma manière.
 
Inconsciemment c’était sans doute lié au fait que les danseurs étoiles ne me ressemblaient pas et que je ne pouvais pas m’identifier à eux.” Le samedi 11 mars 2023, à l’issue d’une représentation de Giselle, de Jean Coralli et Jules Perrot, Guillaume Diop a donc atteint le graal pour tout artiste de ballet : être nommé danseur étoile. Il se trouvait loin de sa famille et ses amis, en Corée du Sud, sur la scène du LG Arts Center de Séoul. “J’ai ressenti un mélange de beaucoup d’émotions à ce moment précis.
 
Veste, Dior. Chemise, Giorgio Armani. Pantalon, Balmain. Slippers, Bottega Veneta. Gants, Versace.© Marcel Nestler
 
D’un côté, il y avait une forme de soulagement et je me suis dit ‘ça y est tu l’as fait !’. Mais d’un autre côté, j'étais sincèrement très étonné car je pensais devoir attendre encore facilement un an”, confie-t-il. Lors de notre première rencontre à l’hiver dernier, c’est déjà ce que le danseur m’avait dit. D’abord, il devait passer premier danseur, le deuxième et déjà très prestigieux échelon de l’Opéra national de Paris. Mais, Guillaume Diop a sauté une étape, pour atteindre non pas un rêve ou un objectif ultime mais plutôt poursuivre logiquement son parcours artistique. “Mon ambition de devenir danseur étoile s’est installée petit à petit car j’ai toujours fonctionné étape par étape.
 
Chaque année, je pouvais être amené à redoubler ou à quitter l’école de danse alors j’avais déjà un objectif précis”, précise-t-il. “Vers l’âge de seize ans, j’avais en tête certains grands rôles du répertoire que je voulais absolument jouer et je savais que pour y avoir accès je devais devenir danseur étoile. Je n’étais pas intéressé par le statut mais par l’assurance d’avoir accès à ces grands rôles.” Affichant un large sourire, Guillaume Diop nous parle de son interprétation de Roméo dans le ballet chorégraphié par Rudolf Noureev et inspiré, cela va sans dire, de la pièce de William Shakespeare, mais aussi de son rôle du Prince Siegfried dans Le Lac de Cygnes du même metteur en scène.
 
Si le jeune homme a été surpris par sa nomination, il ne se sentait pas moins prêt en tant que danseur. “Ma vie de tous les jours n’est pas tellement différente aujourd’hui si ce n’est qu’on me reconnaît un peu plus dans la rue. Ce qui a vraiment changé pour moi, c’est la personnalisation du travail quotidien. Mon rythme n’est pas plus cool mais est principalement orienté sur les répétitions et je travaille moins dans mon coin que quand j’étais remplaçant de rôles principaux”, souligne-t-il. “Personnellement je me sens aussi plus libre et plus légitime aujourd’hui pour apporter mon regard artistique.” Plus écouté, plus mature et toujours focalisé sur des objectifs précis.
 
Quand nous lui demandons si des ballets en particulier le font encore rêver et l’inspirent, sa réponse fuse : le Boléro de Maurice Béjart et La Dame aux Camélias, représentation inspirée du roman d’Alexandre Dumas. Mais, Guillaume Diop a un autre rôle qui lui tient à cœur désormais. En devenant le premier danseur étoile noir de l’Opéra de Paris, le jeune homme est devenu d’autant plus un exemple et a vu peser sur ses épaules à la fois un honneur, une pression et une responsabilité. “Je suis très heureux de porter cette responsabilité, mais je ne crois pas que je puisse être fier d’être le premier danseur étoile noir car ça arrive un peu tard.
 
Et, pour être honnête, malgré l’engouement médiatique, le fait que je sois une sorte de symbole était très abstrait jusqu’à récemment”, atteste-t-il. “Mais, ça a pris tout son sens quand je me suis rendu récemment en Guyane et que j’ai pu discuter avec des enfants noirs qui se reconnaissaient en moi.” Cet épisode fait dans une certaine mesure écho à un déclic qu’a vécu le danseur à l’adolescence et qui souligne l’importance de la représentation dans le développement individuel de chacun, tôt ou tard.
 
En 2016, Guillaume Diop a en effet effectué un stage à New York, au sein de l’Alvin Ailey American Dance Theater, une compagnie de danse contemporaine essentiellement de danseurs afro-américains. “J’ai hésité à y rester ! Sans ce stage, je ne suis pas sûr que j’aurais continué de danser”, estime-t-il. “Ça m’a fait énormément de bien de voir d’autres personnes de couleurs s’épanouir en tant que danseurs. J’ai retrouvé mon goût pour la danse et l’opéra que je commençais à perdre.”
 
Rapidement de retour à Paris, Guillaume Diop poursuit sa passion, enchaîne les distinctions - le Prix de jeune espoir du Ballet en 2018 - et les promotions - dans l’ordre, “Coryphée” en 2022, “Sujet” en 2023 et “Danseur Étoile” la même année donc. Aujourd’hui, le jeune homme se réjouit d’avoir vu les conditions de travail au sein de l’Opéra évoluer pour les personnes racisées, à travers des changements plus ou moins importants mais significatifs, comme la fin des collants couleur “chair” pour tous.
 
Mais, il veut se concentrer sur des actions très concrètes du quotidien pour faire changer les mentalités plutôt que de surfer sur son statut médiatique. Un exemple ? Dans le ballet de Kenneth MacMillan L’Histoire de Manon, inspiré de l’œuvre de l’Abbé Prévost et joué cet été au Palais Garnier, ce dernier interprétait le chevalier Des Grieux qui est censé porter un catogan. Cette coiffure où un ruban attache une mèche de cheveux retombant sur la nuque et qui allait mieux à Karl Lagerfeld qu’à un danseur dont le père est né au Sénégal. “Ça n’avait pas de sens que j’ai un catogan avec des anglaises d’un point de vue technique et pratique.
 
J’ai cherché une autre solution et j’ai trouvé des illustrations de personnes noires de l’époque. C’est comme ça que j