Jeudi, Décembre 05, 2024
MÉDIA D'INFORMATION EN LIGNE | L'AFRIQUE RACONTÉE PAR LES AFRICAINS

Flash Actu

L’écrivain regrette, dans une tribune au « Monde », que certains responsables politiques et militaires de l’époque ne reconnaissent toujours pas la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsi, qui a fait environ 800 000 morts. « De toute manière, vous ne saurez rien.
 
Le journaliste et écrivain Patrick de Saint-Exupéry, Photo Philippe Quaisse
 
Tout est stérile. » Ces mots stupéfiants à propos de l’engagement de l’Elysée de François Mitterrand au Rwanda ont été prononcés par un général de corps d’armée, l’une des plus hautes fonctions de l’institution militaire française. En cette fin d’année 1997, le général Jean-Pierre Huchon savait qu’il parlait à un journaliste. Ce n’était pas une confidence, mais une affirmation tranchante, brutale, après une série de questions précises sur l’engagement de Paris au Rwanda. Tout était supposé « stérile » donc, c’est-à-dire placé sous le plus haut sceau du secret, les documents les plus compromettants détruits ou mis à l’abri au nom de la « raison d’Etat ».
 
Homme-clé du dispositif militaire déployé au Rwanda puis au Congo par l’Élysée de François Mitterrand, sous la supervision du secrétaire général Hubert Védrine, le général Jean-Pierre Huchon, ancien commandant du 1er régiment parachutiste d’infanterie de marine - une unité chargée des missions spéciales, notamment en Afrique -, avait rejoint l’état-major particulier de la présidence de la République de 1991 à 1993 en tant qu’adjoint du général Christian Quesnot.
 
Il fut ensuite nommé à la tête de la Mission militaire de coopération (MMC) jusqu’en 1995. Depuis son « tout est stérile » en 1997, le général Jean-Pierre Huchon s’est gardé de toute intervention publique. Ainsi n’a-t-il pas réagi, en 2021, lorsque le général Jean Varret, son prédécesseur à la MMC, fit le récit public d’une surprenante visite au palais de l’Elysée lors de ces années noires qui virent la présidence française s’engager dans une irrémédiable politique de collaboration avec ceux qui allaient mener au Rwanda la dernière « solution finale » du XXème siècle.
 

Hors de tout cadre

 
Comme l’a raconté Le Monde, le général Huchon, alors à l’état-major particulier de la présidence de la République, accueille à l’Elysée son homologue du ministère de la coopération. Les deux soldats font quelques pas et tous deux évoquent le Rwanda, où un important détachement militaire français est présent au cours de ces années qui précèdent le génocide.
 
De fil en aiguille, Huchon explique au général Varret qu’un dispositif de transmission est installé sous les combles à l’Elysée, afin que les ordres de la présidence soient transmis sans intermédiaire aux troupes sur place. C’est un détail, mais qui dit tout. Au Rwanda, l’Élysée mena une guerre, la sienne, en direct, sans contrôle. Hors de tout cadre, en dehors de toute règle, au prix de la création de « hiérarchies parallèles » et d’un retour à la doctrine de la « guerre révolutionnaire », de sinistre mémoire depuis la guerre d’Algérie, quelques hommes placés au cœur de la République ont engagé un pays entier, la France, dans la voie du déshonneur.
 
Sous les ors de l’Élysée, le général Huchon et le général Quesnot se crurent centurions en terre d’Afrique. Cinquante ans après la Shoah, sous la présidence de François Mitterrand, ces officiers parmi les plus hauts gradés de l’armée française participèrent à la politique commencée par François Mitterrand et supervisée par son secrétaire général. Tous basculèrent - consciemment ou inconsciemment - dans le camp des « nazis tropicaux », selon l’expression de l’historien Jean-Pierre Chrétien, ces extrémistes hutu qui mirent en œuvre la solution finale contre les Tutsi.
 
Telle est la vérité brûlante, terrible, insupportable. Trois présidences successives s’y sont confrontées. Nicolas Sarkozy fut le premier à briser le cercle de feu, François Hollande hésita, Emmanuel Macron, qui avait 16 ans en 1994, entreprit de revisiter avec courage cet héritage dont il n’est aucunement comptable. Après avoir endossé le rapport de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (1990-1994), présidé par l’historien Vincent Duclert, qui concluait à « une responsabilité lourde et accablante de la France », Emmanuel Macron s’apprêtait, le 7 avril, à faire un nouveau pas.
 
Pour le chef de l’État, a annoncé l’Élysée, la France « aurait pu arrêter le génocide (…) avec ses alliés occidentaux et africains », mais « n’en a pas eu la volonté ».
 

Faits établis

 
Finalement, ces mots n’ont pas été prononcés par le président français qui, pour autant, ne s’en dédit en rien : « Ma position n’a pas varié. » En effet, le constat figure dans le rapport de la commission Duclert. Malgré tout, Jean Glavany, successeur d’Hubert Védrine à la tête de l’Institut François-Mitterrand, exige, dans un communiqué surréaliste, de « lever l’ambiguïté ».
 
Une requête plutôt osée, tant les faits sont établis, indiscutables, reconnus. « Les responsables politiques et militaires qui nous ont poussés, et continuent de nous inciter à défendre ce qui fut leur politique nous sont plus odieux que ne sont injustes ceux qui nous accusent de complicité de génocide », constatait, dans une tribune au Monde en 2021, le général Patrice Sartre, commandant du groupement sud de l’opération « Turquoise ».
 
Trente ans plus tard, ceux qui se prirent pour des centurions refusent toujours d’admettre qu’ils aient pu se tromper. On peut se tromper, on a le droit de se tromper. Mais s’enfermer dans le déni témoigne d’un singulier manque de courage. Ceux-là mêmes qui ne cessent - directement ou indirectement - de défendre leur action en se parant de l’« honneur de la France » gagneraient à entendre ce que tentent de leur faire comprendre depuis des années leurs frères d’armes qui, eux, ont osé dire ce qui fut : le général Jean Varret, le général Patrice Sartre, le colonel René Galinié et tant d’autres soldats français qui, sur le terrain, constatèrent qu’on leur avait menti ; et qui, brûlés par le Rwanda, en revinrent meurtris dans leur sentiment du devoir, dans leur honneur.
 
Parce qu’on ne guérit d’une blessure qu’en la cautérisant, et non en la « stérilisant » artificiellement, il est temps de faire enfin honneur à la France. « De toute manière, vous ne saurez pas la vérité avant trente ans. Vos enfants la sauront peut-être… » : voilà ce que s’entendait dire, en 1994, Annick Perrine, la veuve du mécanicien d’aviation tué lors de l’attentat du 6 avril qui déclencha le génocide.
 
Nous y sommes : les enfants de France et du Rwa