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DÉCRYPTAGE - L’affrontement indirect entre Russes et Américains en Afrique s’est déplacé ces derniers mois en Centrafrique. Dans ce duel dans son ancienne zone d’influence, la France se contente d’un rôle de spectateur. Ni les sourires ni les menaces n’auront suffi à Washington pour conserver sa base militaire au Niger et éloigner Moscou.
 
La semaine dernière, le général Tiani a refusé de recevoir une délégation menée par le plus haut commandant américain pour l’Afrique, le général Michael Langley, ainsi que la secrétaire d’État adjointe aux Affaires africaines, Molly Phee. -/AFP
 
Samedi, dans un communiqué brutal lu à la télévision, les militaires nigériens ont dénoncé les accords de défense entre les deux pays confirmant, un peu plus encore, le choix des militaires au pouvoir de se tourner vers la Russie. Comme Paris, Washington fut un allié de choix pour l’ancien régime nigérien, renversé le 26 juillet par l’armée.
 
À partir de 2016, les États-Unis ont entamé la construction, pour 110 millions de dollars, d’une base à Agadez. Le site d’où leurs drones décollent depuis 2019 pour sillonner toute l’Afrique du Nord est le cœur d’une opération impliquant plus de 1 100 soldats américains positionnés au Niger. «C’est un véritable échec pour les États-Unis, une claque au visage», affirme Michael Shurkin, un ancien de la CIA, désormais directeur pour le cabinet privé 14 North Strategies.
 
D’autant que la junte n’a rien fait pour atténuer l’effet de sa décision, bien au contraire. Dans son communiqué, le porte-parole des autorités militaires a dénoncé une présence «illégale» qui «viole toutes les règles constitutionnelles et démocratiques». «Cette décision est la suite logique de nos efforts pour redonner au Niger sa souveraineté, explique un conseiller du général Tiani, le chef de la junte.
 
Tout comme les Français, les Américains ont profité de l’ancien régime pour imposer au Niger une coopération qui ne lui était pas bénéfique.»
 

Suspension de coopération

 
Niamey a en plus choisi son moment pour renforcer l’impact. La semaine dernière, une délégation de haut vol menée par le plus haut commandant américain pour l’Afrique, le général Michael Langley, ainsi que la secrétaire d’État adjointe aux Affaires africaines, Molly Phee, s’était rendue au Niger.
 
Mais, signe de la dégradation entre les alliés d’hier, le général Tiani a refusé de recevoir les visiteurs. Le porte-parole de la junte a dénoncé «l’attitude condescendante assortie de menaces de représailles» de Molly Phee. «C’est une humiliation assez rare pour un haut diplomate américain», note Michael Shurkin.
 

Washington a tout fait pour conserver ses liens avec le Niger, allant jusqu’à nommer une ambassadrice un mois après le putsch (...)

 
Il a fallu attendre le mois d’octobre pour que l’Administration de Joe Biden qualifie les événements de l’été de « coup d’État » et suspende sa coopération Pourtant, Washington a tout fait pour conserver ses liens avec le Niger, allant jusqu’à nommer une ambassadrice un mois après le putsch. Cette dernière, Kathleen FitzGibbon, a ensuite multiplié les efforts pour maintenir une position conciliante afin d’entretenir le dialogue avec les autorités militaires, à la grande colère de la France.
 
Il a fallu attendre le mois d’octobre pour que l’Administration de Joe Biden qualifie les événements de l’été de «coup d’État» et suspende sa coopération avec le Niger, comme la loi américaine l’y oblige. En décembre, malgré l’absence d’engagements par les putschistes sur une transition démocratique, la secrétaire d’État adjointe, Molly Phee, avait évoqué une reprise possible de la coopération militaire. Seulement, depuis la fin de l’année 2023, le Niger a malgré tout considérablement accéléré son rapprochement avec Moscou.
 
Ainsi, le 4 décembre 2023, une délégation russe, conduite par le vice-ministre de la Défense Iounous-Bek Evkourov, s’est rendue au Niger, et le 16 janvier dernier, le premier ministre Lamine Zeine se rendait à Moscou.
 

La France, simple spectateur

 
Comment Washington va-t-il maintenant se replier du Niger? Rien n’a encore filtré. Mais il est douteux que l’armée américaine accepte de remettre ses installations, coûteuses et assez sophistiquées, aux autorités du Niger, avec le risque de voir un jour les Russes les occuper.
 
Les Américains ont préféré prévoir et anticiper sur leur nouvelle politique de «containment». Car, pour brutale qu’elle soit, cette annonce n’est pas une surprise. La fermeture de la base et la demande de départ par la junte faisaient l’objet de signaux depuis plusieurs mois. Lors de sa visite en Côte d’Ivoire, fin janvier, le secrétaire d’État, Antony Blinken, aurait d’ailleurs évoqué avec les autorités la possibilité d’installer un site pour les drones dans le nord du pays.
 
Début 2023, le commandement américain pour l’Afrique a confirmé que «plusieurs lieux» étaient envisagés pour une telle installation. «Mais quel que soit l’endroit, cela sera nettement moins efficace que la base au Niger», souligne l’expert américain.
 

Dans ce pays, soigneusement noyauté par Wagner depuis 2017, les États-Unis ont tenté de reprendre pied.

Soupçonnant une certaine lassitude du président Touadéra envers la tutelle de « l’ami » russe, Washington a tenté de placer un coin

 
L’affrontement indirect entre Russes et Américains en Afrique s’est d’ailleurs déjà déplacé ces derniers mois sous d’autres cieux: en Centrafrique. Dans ce pays, soigneusement noyauté par Wagner depuis 2017, les États-Unis ont tenté de reprendre pied. Soupçonnant une certaine lassitude du président Touadéra envers la tutelle de «l’ami» russe, Washington a tenté de placer un coin.
 
Fin septembre, un accord était signé entre le gouvernement et Bancroft Global Development, une société de sécurité privée américaine. Mais depuis, Bancroft, dirigé sur place par un ancien mercenaire français, peine à s’imposer, voire à avoir une quelconque réalité, bien que ses objectifs aient été revus à la baisse. Au contraire, certains de ces cadres ont été brièvement interpellés à Bangui.
 
En parallèle, une très opportune et inédite campagne «anti-américaine» a fleuri dans le pays, accusant Bancroft d’être «une antenne de la CIA» et les États-Unis de vouloir imposer l’homosexualité.
 
«Le problème est que Bancroft est encadré, au moins en partie, par la loi et ne peut comme Wagner faire tous les excès», souligne une source centrafricaine. Dans ce duel dans son ancienne zone d’influence, la France, chassée du Niger comme de Centrafrique, se contente d’un rôle de spectateur.
Source Le Figaro | Tanguy Berthemet | 18/03/2024

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