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Le 25/06/2024

 

Les autorités Rwandaises, incarnées par son tout puissant président Paul Kagame, s’opposent à la nomination du candidat retenu par le chef de la diplomatie européenne, un diplomate belge pourtant chevronné, au poste de Représentant spécial de l'Union européenne (UE) dans la région des Grands Lacs, du fait des récentes critiques du royaume de Belgique contre l’ingérence rwandaise en République démocratique du Congo (RDC).

 2024 06 24 2 Rencontre de Paul Kagame Josep Borrell High Representative of the EU for Foreign Affairs and VP of EU Commission and delegation à KIGALI 2021 10 25

Le président rwandais, Paul Kagame, en compagnie du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, lors d’une rencontre diplomatique à KIGALI (Rwanda), en octobre 2021. © LE COURRIER Africain

 

Les pressions de Paul Kagame

 

La rumeur circule depuis la publication de deux articles de Africa Intelligence fin mai 2024 (RDC/Rwanda : Paul Kagame tente de bloquer la nomination du représentant de l'UE pour les Grands Lacs - 27/05/2024 - Africa Intelligence et Rwanda : Tensions à Bruxelles après la tentative d'immixtion de Kigali dans la diplomatie européenne - 31/05/2024 - Africa Intelligence).

Suite à l'intense activité diplomatique des autorités rwandaises, en particulier de son omnipotent président Paul Kagame, auprès des instances européennes et de la France, révélées fin mai par Africa Intelligence, pour influer sur la nomination du nouveau Représentant spécial de l'UE dans la région des Grands Lacs, le Service européen pour l'action extérieure (SEAE qui constitue le bras armé de la diplomatie européenne) avait décidé de prolonger la procédure de recrutement jusqu’au 05 juillet prochain. Un email avait été envoyé aux États membres le 14 juin pour les en informer.

 

Le lundi 24 juin, le sujet des situations humanitaire et sécuritaire dramatiques dans la région de l'Est de la RDC et de la nomination du nouveau Représentant spécial de l'UE étaient notamment à l'ordre du jour du Conseil des ministres des Affaires étrangères européens qui se tenait à Luxembourg.

Cette région de l'Afrique est éminemment sous le feu permanent de l'actualité et de l'attention des diplomates européens, en raison de la résurgence des combats et des violences exercées sur les populations civiles dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) qui se sont intensifiées depuis fin 2021 (par les groupes armés du M23). Un conflit qui dure depuis plus de trente ans !

De cette nomination attendue du nouvel « Envoyé spécial » dépendra la position future de l'Union européenne vis-à-vis des bélligérants de cette région des Grands Lacs (Burundi, Kenya, Malawi, Mozambique, Ouganda, Rwanda, RDC, Tanzanie, Zambie), qui constitue une poudrière, après la résurgence des violences et les escalades verbales de certains candidats survenues lors de la dernière campagne présidentielle de 2023 en RDC.

 

Les rencontres officielles en France, les 29 et 30 avril 2024, avec les plus hautes autorités françaises (le Président Emmanuel Macron et les présidents des deux chambres parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat), de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, le Président de la RDC brillamment réélu le 20 décembre 2023, avaient justement pour objectifs de rappeler l'extrême longueur de ce conflit armé dans l'Est de la RDC et de dénoncer les atteintes à la souveraineté, à l'intégrité territoriale et au pillage des ressources naturelles de son pays par certains de ses voisins (dont le Rwanda).

Pour la première fois, le président français Emmanuel Macron, avait exhorté le Rwanda à cesser son soutien aux rebelles du M23, et à retirer ses forces de la RDC, sans toutefois abonder dans le sens du président Tshisekedi pour l'adoption de sanctions (Le président français exhorte le Rwanda à «cesser son soutien» aux rebelles du M23 et à «retirer ses forces» de RDC (rfi.fr)).

 

Suite à cette nouvelle rencontre ce lundi 24 juin 2024 des 27 ministres européens des Affaires étrangères réunis à Luxembourg, il n'a toujours pas été possible de dégager un consensus sur la nomination du nouveau Représentant spécial de l'Union européenne pour la région des Grands Lacs (qui comprend le Burundi, le Rwanda et la RDC), dont la nomination par Josep Borrell, l'actuel Vice-président de la Commission européenne et Haut réprésentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, devait intervenir dès la mi juin.

De cet échec, force est de constater que l'Europe est coupée en deux dans ce délicat dossier qui met dans l'embarras toutes les grandes chancelleries européennes, dont la France, l'Allemagne et la Belgique, les principaux pays concernés.

 

En mars 2024, deux candidats avaient été retenus : Pekka Haavisto, ancien ministre finlandais des affaires étrangères, qui a fini par se désister. Son principal défaut était qu’il ne parle pas français, alors que la région est francophone. Restait donc le second prétendant qui était pressenti, le Belge Bernard Quintin, diplomate chevronné, qui connaît parfaitement la région pour avoir été en poste à KINSHASA de 2004 à 2007, puis l'ambassadeur de Belgique au Burundi d'octobre 2016 à juillet 2019, puis le Directeur général adjoint pour l'Afrique du Service européen pour l'action extérieure (SEAE) de novembre 2020 à novembre 2023, d'ailleurs chargé pour l'Europe du suivi et de l'application de l'Accord cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo et la région, dit Accord-cadre d'Addis-Abeba (Discours de Bernard Quintin, Envoyé spécial de l’UE pour les Grands Lacs, au nom des partenaires internationaux à l’ouverture du 10e Sommet des Chefs d'État et de gouvernement du mécanisme régional de suivi de l'Accord-cadre d'Addis-Abeba | EEAS (europa.eu)) qui reste le principal outil diplomatique et depuis le 19/12/2023, l'actuel Directeur général de la Direction Générale Affaires Européennes et Coordination (DGE) ad interim au sein du SPF Affaires étrangères du Royaume de Belgique.

De par sa grande expérience de la région, il était l'homme idoine et semblait faire l’unanimité des États membres. Et pourtant, il ne sera pas non plus le prochain « Envoyé spécial » dans la région.

C'est évidemment un grave échec diplomatique pour la Belgique, ancienne puissance coloniale de cette région de l'Afrique, incapable de faire nommer son représentant, alors même que la Belgique assure l'actuelle présidence tournante du Conseil de l'Union européenne du 01 janvier au 30 juin 2024.

 

Ce barrage s’inscrit dans un contexte historique de relations diplomatiques tendues entre KIGALI et BRUXELLES, exacerbées par les critiques belges de plus en plus nombreuses sur l’ingérence rwandaise en République démocratique du Congo (RDC), Belgique qui a toujours soutenu la RDC.

 

Ces critiques sont aussi le fait de parlementaires belges, dont le fait le plus marquant fut l'intervention au sein du Parlement belge le 22 février 2024 du président du Parti du travail de Belgique (PTB), Raoul Hedebouw, qui a dénoncé le silence du gouvernement belge et des autres pays occidentaux face aux massacres dans l'Est de la RDC (Congo : Pourquoi la Belgique reste silencieuse ? (youtube.com)).

Le 27 février 2024, c'est une députée européenne française des Outre-mer, présidente du RPFOM, Maxette Pirbakas, qui est intervenue au sein de l'hémicycle du Parlement européen pour appeler l'Union européenne à soutenir la République Démocratique du Congo en imposant des sanctions aux promoteurs rwandais dans sa guerre d'agression dans l'Est de la RDC (Maxette Pirbakas, eurodéputée : "Pourquoi l'Europe ne fait-elle rien dans l'est de la RD Congo ?" (youtube.com)).

Plus récemment, avec la diffusion du projet « Rwanda Classified, au coeur de l'engrenage répressif du régime de Paul Kagame », un consortium de 50 journalistes « Forbidden Stories » a décidé de raconter ces histoires interdites, grâce au travail coordonné de ces journalistes représentant 17 médias dans 11 pays différents. Parmi ces médias, trois sont belges : la RTBF (Rwanda Classified : au cœur de l’engrenage répressif du régime de Paul Kagame - RTBF Actus), le Soir et Knack.

 

Le « travail de sape » et d'influence du président rwandais Paul Kagame, n’a pas attendu de voir Emmanuel Macron, le 20 juin dernier à PARIS lors du Forum mondial sur la souveraineté et l'innovation vaccinales. Dès la fin avril, lors d’un entretien téléphonique, il avait dit à son homologue français son opposition à ce choix, selon le média Africa Intelligence. À la suite de cet échange, la France, mais également d’autres pays comme la Suède ou le Danemark, ont alors soutenu cette opposition et ont fait savoir qu’avant toute nomination d’un envoyé spécial, il fallait s’assurer de sa bonne réception dans les pays de la région.

« Si l’on veut qu’un tel représentant soit efficace, il faut qu’il puisse parler à tout le monde et soit reçu par l’ensemble des acteurs régionaux. Si un pays s’y oppose, cet envoyé spécial européen sera affaibli », résume une source diplomatique citée par Le Monde Afrique. Alors que les ambassadeurs doivent soumettre leurs lettres de créance à leur État hôte, la procédure est bien plus floue concernant un envoyé spécial européen, qui porte la parole des Vingt-Sept. Théoriquement, un pays tiers n’a pas voix au chapitre.

 

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Le président français Emmanuel Macron accueille le président rwandais Paul Kagame le 20 juin 2024 au MEAE, lieu du Forum mondial pour la souveraineté et l’innovation vaccinales - Photo Paul Kagame Flickr

 

« Une humiliation pour l'Europe »

 

La Belgique, historiquement proche de la République démocratique du Congo, où le Rwanda est accusé d'être militairement engagé auprès des rebelles du M23 qui déstabilisent l’Est de la RDC, selon un rapport définitif du groupe d'experts de l'ONU du 13 juin 2023 (n2312381.pdf (un.org)), paie ses mauvaises relations historiques et actuelles avec KIGALI.

En 2023, la Belgique avait refusé l’agrément de Vincent Karega, choisi par KIGALI comme ambassadeur à BRUXELLES, qui avait occupé la même fonction à KINSHASA avant d'en être expulsé fin octobre 2022, ce qui a encore aggravé les relations entre les deux pays. C'est donc « la réponse du berger à la bergère ».

 

Certains pensent que l’Europe est en train de se faire humilier dans ce dossier et fait preuve de faiblesse, en se faisant dicter la marche à suivre par le Rwanda, déjà coutumier des ingérences comme l’a démontré l’enquête « Rwanda Classified » de Forbidden Stories en mai.

À l'inverse, certains affirment qu'un diplomate belge n’aurait pas dû être présélectionné pour une telle fonction, estime-t-on au service d’action extérieure européen, remarque qui apparaît surprenante quand on connaît le passé diplomatique du candidat qui a conduit le mécanisme de suivi et d'application de l'accord-cadre d'Addis-Abeba. Plusieurs États membres ont ainsi réclamé un profil plus neutre.

 

Plusieurs sources diplomatiques à Bruxelles ont exprimé leur frustration face à la capacité du Rwanda à influencer une décision interne de l’UE, un acte perçu comme une atteinte à la souveraineté diplomatique de l’Union. Un diplomate européen cité par Le Monde a déclaré que « laisser un pays tiers dicter notre conduite envoie un très mauvais message ».

« Le choix de M. Quintin par le panel de sélection était unanime et était connu de très peu de personnes, confie un diplomate au courant de l’affaire. Comment M. Kagame l’a-t-il appris ? Que le Rwanda fasse ensuite pression pour éviter la nomination d’un envoyé spécial dans la région, c’est son droit, mais il n’aurait jamais dû être informé si tôt de cette nomination. »

« Cette procédure a été une disgrâce », peste un autre diplomate européen à Bruxelles. « Laisser un pays tiers nous dicter notre conduite envoie un très mauvais message. Un tel processus de recrutement ne peut pas se reproduire. Ce n’est pas possible », renchérit une troisième source diplomatique, qui appelle à la nomination d’un nouvel envoyé spécial le plus rapidement possible.

« Avec le Rwanda, vous avez deux options : soit vous vous opposez et vous vous faites respectez, soit vous cédez, et vous vous faites marcher sur les pieds, relève un diplomate expérimenté. L’Europe a choisi la pire option. »

 

Il apparait que le Président français Emmanuel Macron, en perpétuelle repentance face au Rwanda, comme le souligne sa politique diplomatique de ces dernières années et sa déclaration polémique du 04 avril dernier en partie contredite par sa vidéo du 07 avril, a fait pencher la balance en faveur de Paul Kagame. Toujours la pratique du « en même temps » qui consiste à faire plaisir aux deux parties, mais cela ne fait pas une politique diplomatique cohérente et efficace.

 



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